L'empereur Hadrien, transfiguré par Yourcenar, présente d'abord un ferme désir d'expérience, d'ouverture à l'altérité, poussée jusqu'à un certain mysticisme ; ceci tout en maintenant ce garde-fou qu'est la raison au sens antique, le souci de clarifier toute chose pour la pensée et surtout la volonté de se maîtriser et de garder le contrôle de soi et de ses représentations en toutes circonstances, qui le rattache particulièrement au stoïcisme, dont on sait l'influence à Rome. Mais il parvient aussi à empêcher l'absorption de la diversité vivante dans un système trop intellectualiste et répressif, qui risque de devenir inhumain à force d'orgueil trop humain, grâce à une innocence de voluptueux sans vulgarité ni mollesse et donc à une valorisation du plaisir proche, avec certaines nuances plus souriantes et moins calculatrices, de l'épicurisme. L'approfondissement de l'ouverture à l'altérité, la volonté de maintenir une digne maîtrise de soi et la sensibilité humaine au plaisir exigeant, font de la démarche philosophique d'Hadrien une méthode qui voudrait ne pas se refermer en un système mais déployer les angles d'attaque différents d'une sagesse plurielle et maintenir, sous forme de défi, les contradictions enrichissantes d'une vie élevée pourtant à un sens quasi-universel. Celui-ci se révèle alors moins abstrait et conceptuel que dégagé par le parcours de vie authentique et le corps vivant cette existence, centre de singularité comme de capacités partagées : il s'agit d'une sagesse du corps, traversant et reliant les trois dimensions évoquées, une sagesse initiée par l'attention au corps, par l'expression du corps, par la problématisation des corps. éditeur