Accueillir à Saverne une exposition consacrée au peintre et graveur toscan Alfredo Müller trouve tout son sens dans une ville qui honore déjà la mémoire des deux grands Européens que furent Louise Weiss et Jean de Pange. De citoyenneté suisse, Alfredo Müller est né à Livourne en 1869 dans une famille de négociants et armateurs aux racines internationales. Il est quadrilingue depuis l'enfance. Il grandit en Toscane. Après la ruine familiale, il émigre à Paris avec ses parents et sa fratrie. Il a acquis la nationalité française depuis peu quand un concours de circonstances le reconduit à Florence. Il y demeure vingt ans avant que la montée du fascisme ne décide de son retour à Paris où il décède en 1939. « Lundi 27 juin. Galerie Vollard, entrée pour voir des Cézanne (…) et me voilà distraite par de curieux dessins d'un tout jeune, M. Alfred Muller : des femmes au tub (…) d'un réalisme caricatural, d'allures batraciennes, une évasion des clichés du nu classique » (Mary Léopold-Lacour, précurseur féministe, La Fronde, 4 juillet 1898). « Il est satisfait quand une de ses figures évoque par le geste, la ligne ou l'expression l'exemple de quelque grand maître ou prend la saveur d'une vieille estampe » (Mario Tinti, Il Nuovo Giornale, Florence, 21 avril 1918). La mémoire artistique peine à trouver le fil conducteur de son histoire brisée, à identifier le peintre italien Alfredo Müller au graveur français Alfred Muller. Pourtant, les diverses influences que revendique l'artiste se mêlent si bien qu'il n'appartient à aucune nation, à aucune école. Il ne faut donc pas s'étonner que la mélancolie et le rêve cohabitent avec son étonnante maîtrise du trait et des couleurs. Son œuvre invite à élargir le regard au-delà des frontières, en compagnie de cet artiste européen trop tôt. éditeur